Orléans - St Benoît sur Loire / J1

Pourquoi ?

C'est la question venue fracasser mon entrain quand, 5 minutes après le départ, je me trouvais déjà sous un pont à St-Jean-le-Blanc, prisonnier d'une pluie battante que chialait pour la première fois depuis des lustres, le ciel de cet été caniculaire 2019.

Tandis que les rues se transformaient en rivières, un sentiment de mauvais présage s'agrippa à moi et ne me lâcherait plus avant le soir...

Devant cet égout qui régurgitait des torrents de pluie mousseuse, à 500 mètres de chez moi, je repensais à tout ce qu'il m'avait fallu déployer d'énergie pour enfin hisser les voiles.

"Partir, c'est mourir un peu" !

[extrait du poème le « Rondel de l'adieu » Edmond Haraucourt - 1890]


Car, ce n'est pas rien de partir en voyage. Mais partir en voyage à vélo, seul, plusieurs mois, à travers des contrées qu'on ne connaît pas, quand on ne l'a jamais fait... petit challenge en terme d’auto-persuasion que "tout/va/bien/se/passer (... mec) !!"

Au beau démarrage de mon année sabbatique, un 1er mois complet de préparatifs ne fut pas de trop. Il y a eu les célébrations. Des au-revoir, quelques "ne pars pas trop loin", plusieurs "sois-prudent" mais surtout une infinité de "profites bien".

Les insistances à se voir une dernière fois renforcèrent ou révélèrent des amitiés, le sentiment agréable et troublant d'être parfaitement bien entouré... beaucoup plus que je ne le mérite. Et puis ce petit quelque chose inquiétant, ce doute flottant : s'agit-il d'un au revoir ou d'un adieu ?

Au milieu de la fête, il a fallu le préparer ce voyage. Renforcer son mental, s'armer de précautions diverses (assurance, paperasse, déclarations administratives...)

Et puis acheter un peu du matériel qui me manquait, sacoches, appareil photo, tente, accessoires divers.

[P]réparer le vélo, un job à mi-temps.

Mon Peugeot un peu rouillé sorti tout droit des années où on s'imaginait le futur avec des skates volants, couvert d'autocollants est un bon mais vieux vélo, que ma pratique du cyclisme urbain ne m'a pas poussé à beaucoup entretenir. Un coup de tournevis par ci, un ajout de machin par là... faire et refaire, se heurter à ses limites. Apprendre la mécanique du bazar... "c'est bon à prendre pour plus tard".

Ce mois de juillet m'a semblé filer comme une comète et paradoxalement s'étirer jusqu'à plus faim, ni soif. Le genre de mois de juillet qui dure jusqu'au 9 août !

Et même le jour du départ, les derniers arrangements de mon appartement, que je m'apprêtais à confier à d'autres pour 4 mois, me portaient à reculer mon départ à l'heure le matin bascule vers l'après-midi.

Alors donc que j'avais muri ce projet depuis le précédent décembre et sa gloutonnerie confortable de coin de cheminée, en cet instant précis, abrité par ce pont à 500 mètre de mon point de départ, scrutant le ciel gris et menaçant, comme depuis les derrières d'une cascade, je me suis demandé : pourquoi je fais ça ?

Chose amusante, pour en avoir discuté bien plus tard avec d'autres cyclistes... je suis loin d'être le seul à me poser cette question !

Le premier coup de pédale

J'ai enclenché tellement de vitesses, actionné tellement de leviers sans marche-arrière... suis-je en droit de renoncer ? J'en avais la boule au ventre, ne ce serait-ce que de penser au nombre de personnes qui avaient encouragé et applaudi le lancement de la fusée.

Et c'est le cœur battant la chamade, léger et lourd à la fois, infoutu de raisonner cette angoisse qui venait de naître face à l'inenvisagé mais possible échec, que je m'élançais finalement, alors même que les parapluies n'étaient pas encore fermés et que le ciel essorait encore les dernières gouttes qui lui restaient à pisser.

Il me fera la joie de tester l'étanchéité de mes nouvelles sacoches Vaudes, trois autres fois la même journée. Entre deux averses, j'adressais des indigitamenta de protection à tous les dieux des Carnutes, pour que mes sacoches-avant, qui procuraient à mon guidon un caractère grelotant inédit, défient le plus longtemps possible la gravité à l'aide de colliers de serrage vissés à leur maximum et un bout de fil de fer, qui sur le moment ne me paraissait pas bien solide.


La première nuit

40 kilomètres plus loin, je décidai de m'arrêter au camping de St Benoît sur Loire. Ici, on n'a pas vu la pluie de la journée... Depuis la réception, plus proche de la cahute de brousse que d'un hôtel 4étoiles, le taulier des lieux est souriant et détendu. Il me demande de payer en cash...

Deuxième erreur de débutant.

Après m'être aperçu à l'occasion des premières heures, que je n'avais fait acquisition d'aucune carte, je constatai que je n'avais pas non plus retiré d'argent !

Même après des mois de préparation on peut s'apercevoir sur le fil qu'on a oublié les plus élémentaires des précautions.

C'était votre première leçon jeune novice !

Je dois me rendre au centre ville pour y dégoter un distributeur automatique de magot.

Sur le trajet je ne manquerai pas de m'arrêter devant la basilique de l'abbaye de Fleury fondée vers l'an 600 et qui abrite encore aujourd'hui 32 moines.

Et puis la terrasse d'un café, face à l'édifice bénédictin, où je commande une bière... breuvage bien mérité j'estimais, à proximité d'une famille de cyclistes avec qui, je l'ignorai alors, je déjeunerai le lendemain.

Et enfin, ce moment, peut-être l'un des plus importants de mon voyage. Une charnière. Ce couple en tandem, s'arrêtant devant le café, elle furieuse que lui ne l'ait pas prévenue qu'il arrêtait le bahut... pédaler en tandem, une autre aventure. Un outil recommandable pour les couples en mal de tester la qualité de leur communication.

Marion et Paul. Oh combien, je me souviendrai longtemps de ces deux lascar.e.s en route pour la côte vendéenne, venu.e.s me taxer une clope et s'assoir à ma table. On échangera autour de leur périple qui s'achève et du mien qui débute. Après un débat entre eux deux, camping ou bivouac, vite réglé en faveur du confort et de la compagnie d'un débutant de ma trempe, nous passerons la soirée ensemble à refaire le monde autour d'un repas partagé. J'apporte la bière et les cacahuètes, ielles s'occupent de la semoule et des courgettes...

Vous êtes tombés du ciel mes ami.e.s, ces prières aux divinités carmutes auront donc payé. Je n'avais plus peur. Je savais désormais que je ne serai jamais seul sur la route !